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Dans son livre autofictionnel 尝鈥檃尘补苍迟 (1984), l鈥檃uteure Marguerite Duras examine des liens th茅matiques entre la colonisation, la sexualit茅 et la r茅silience f茅minine en Indochine fran莽aise. La protagoniste du roman, une adolescente du nom de Marguerite Donnadieu, entame une relation 脿 la fois sexuelle et illicite avec un homme chinois plus riche et bien plus 芒g茅 qu鈥檈lle, d茅sign茅 comme 芦 l鈥檃mant 禄, appellation qui donne son titre au roman. Au sein de celle-ci, Marguerite profite d鈥檜n espace 茅motionnel et physique r茅confortant loin de son milieu familial malsain. En m锚me temps, avec son amie H茅l猫ne Lagonelle, une adolescente fran莽aise habitant au m锚me internat, Marguerite d茅veloppe une relation que nous pouvons qualifier de 芦 queer 禄 et de 芦 homosociale 禄.[1] C鈥檈st cette relation homosociale qui permet 脿 Marguerite d鈥檈xplorer son d茅sir queer pour le corps de Lagonelle. Par sa relation avec Lagonelle, qui est toujours inconsciente de la sexualit茅 de son corps, Marguerite regagne une innocence jeune autrement menac茅e par une enfance traumatique et par sa nouvelle sexualit茅 avec l鈥檃mant chinois. Les deux relations鈥攃elle avec H茅l猫ne et celle avec l鈥橝mant鈥攕ont interdites par les r猫gles sociales de la soci茅t茅 coloniale indochinoise de cette p茅riode. Toutefois, Marguerite les exploite non seulement pour survivre, mais pour reprendre son agenc茅it茅 dans des milieux familiaux et sociaux qui la marginalisent. Son statut privil茅gi茅 qu鈥檈lle doit 脿 son identit茅 de colonisatrice fran莽aise blanche l鈥檈xclut des certaines parties de la soci茅t茅 indochinoise ainsi, mais c鈥檈st 脿 travers cette exclusion qu鈥檈lle parvient 脿 retrouver une stabilit茅. Cette stabilit茅 est fond茅e sur la fluidit茅 de Marguerite 脿 travers des fronti猫res qui d茅lignent la structure socio茅conomique et raciale de la colonie et les relations amoureuses, sexuelles et queers de la protagoniste.
Dans ce contexte, nous utiliserons un cadre intersectionnel pour consid茅rer les th猫mes de la sexualit茅 queer et de la colonialit茅 dans 尝鈥橝尘补苍迟. Pour mieux 茅clairer comment nous appliquons le terme 芦 queer 禄, il faut noter que David Halperin le d茅finit ainsi : 芦 Not a positivity but a positionality vis-a-vis the normative鈥攁 positionality that is not restricted to lesbians and gay men but is in fact available to anyone who is or who feels marginalized because of her or his sexual practices 禄 (62). Par ses relations queer et illicites avec l鈥橝mant et avec Lagonelle, Marguerite reprend un pouvoir 脿 priori perdu 脿 cause de son statut marginalis茅, mais au final r茅clam茅 et revivifi茅. Ce sont des relations physiques et affectives qui font de Marguerite un personnage fluide et queer qui traverse des fronti猫res culturelles et cherche du courage parmi les instabilit茅s sociales et familiales qui jalonnent son milieu.
En fait, les fronti猫res socio-茅conomiques impalpables sont essentielles pour que l鈥檈mpire fran莽ais en Indochine puisse exercer son emprise sur la population indig猫ne. Ces fronti猫res sont d茅finies par les identit茅s raciales et socio茅conomiques : d鈥檜n part, les colonisateurs blancs riches, et d鈥檃utre part, les indig猫nes pauvres. En tant qu鈥檃dolescente blanche et fran莽aise, Marguerite est nominalement membre de la classe privil茅gi茅e. Cependant, la pauvret茅 de sa famille la distingue clairement des autres colons blancs. Ces identit茅s contradictoires situent Marguerite 脿 l鈥櫭ヽart de la soci茅t茅 coloniale, jusqu鈥檃u point o霉 elle n鈥檈st un membre d鈥檜n ou d鈥檃utre groupe raciale dans la colonie : elle se trouve 脿 la fois rejet茅e par les indig猫nes asiatiques et par les colons. Assise 脿 l鈥檃vant du 芦 car pour indig猫nes 禄 pour traverser le M茅kong, sa pr茅sence dans la voiture repr茅sente ce qui la s茅pare des deux groupes raciales (Duras 8) : d鈥檜ne part, certes, elle prend le bus 脿 cause de la n茅cessit茅 financi猫re, ce qui l鈥檌sole de ceux qui ont les moyens de se servir d鈥檜ne voiture priv茅e ; d鈥檃utre part, elle ne peut pas s鈥檃ssocier 脿 ses 茅gaux socio-茅conomiques, 脿 savoir les indig猫nes indochinois, 脿 cause de son statut de fille blanche.
Le positionnement de Marguerite dans la hi茅rarchie sociale devient ambigu puisqu鈥檈lle se d茅place constamment par-dessus les fronti猫res ethno-raciales. C鈥檈st ce positionnement ambigu qui se pr茅sente comme a priori mena莽ant aux yeux de l鈥檈mpire fran莽ais : l鈥檈ffacement et le changement naturel des fronti猫res ont comme cons茅quence le danger que la th茅orie postcoloniale appelle l鈥櫬� indifferentiation 禄 entre le colonisateur et le colonis茅 (Cooper 145). Marguerite, qui ne correspond ni 脿 un sujet indig猫ne, ni 脿 une colonisatrice typique, se trouve rejet茅e et marginalis茅e par la division raciale et socio茅conomique de la colonie. Comme le remarquent Frederick Cooper et Ann Stoler :
The criteria used to determine who belonged where underscored the permeability of boundaries, opening possibilities for assertion among interstitial groups of 鈥渕ixed bloods鈥� and 鈥減oor whites鈥� as well as those more squarely identified as 鈥渢he colonized鈥� (6).
Le positionnement de 芦 poor white 禄 de Marguerite menace intrins猫quement le statu quo de l鈥橧ndochine fran莽aise. Toutefois, c鈥檈st la d茅cision d鈥檈ntreprendre une relation sexuelle avec un Chinois qui renforce davantage cette marginalisation de la protagoniste.
Ce qui informe profond茅ment la di茅g猫se de Duras, c鈥檈st le contexte socio-historique de son enfance en Indochine fran莽aise, ce qui se caract茅rise par des fronti猫res construites et apparemment immuables qui sont li茅es au sexe et aussi 脿 la race. Comme les hommes fran莽ais symbolisent le pouvoir sup茅rieur de la France 脿 travers son autorit茅 coloniale sur les indig猫nes, les femmes blanches deviennent une source de stabilit茅 n茅cessaire pour 茅viter que les Fran莽ais ne se transforment en indig猫nes par leurs relations avec des ma卯tresses indochinoises, ce que Cooper explique comme 芦 [i]ndigenisation [鈥 the ultimate manifestation of acculturation 禄 (159). Ces relations sexuelles et interraciales 茅taient d茅crites comme 芦 encongayement 禄, un mot d茅riv茅 du mot vietnamien 芦 con ga茂 禄 signifiant la concubine d鈥檜n homme blanc (Cooper 154). L鈥檈ncongayement symbolise donc la conqu锚te de l鈥橧ndochine par la France, refl茅t茅e dans la domination du corps indig猫ne f茅minin par le colon blanc. L鈥檈ncongayement repr茅sente aussi les influences dangereuses, tant physiques que morales, qui tentent les colons et les poussent 脿 rejeter la culture et la patrie fran莽aises et 脿 s鈥檈nfuir avec les femmes indig猫nes et 脿 adopter leur 芦 native way of life 禄 (158). L鈥檌nstallation des femmes blanches dans les colonies restaure, comme le sugg猫re Cooper, l鈥檃utorit茅 imp茅riale fragile en prot茅geant les colons blancs contre le danger de 芦 蝉鈥檌苍诲颈驳茅苍颈蝉别谤 禄.&苍产蝉辫;
Pourtant Ania Loomba note qu鈥檃vec cette installation vient un nouveau danger, ce de la contamination symbolique de la France par la contamination des Blanches : 芦 Women on both sides of the colonial divide demarcate both the innermost sanctums of
race, culture and nation, as well as the porous frontiers through which these are
penetrated 禄 (159). Donc, comme les femmes indig猫nes repr茅sentent l鈥橧ndochine colonis茅e, les femmes blanches deviennent symboles de la France colonisatrice elle-m锚me. 脌 titre d鈥檈xemple, Duras note que les femmes blanches en Indochine 芦 ne font rien, elles se gardent seulement [...] pour l鈥橢urope [...]. Certaines sont plaqu茅es pour une jeune domestique qui se tait 禄 (15). Ces femmes 芦 ne font rien 禄 parce qu鈥檈lles remplissent leur r么le de pr茅server la stabilit茅 dans la colonie simplement par leur existence. De plus, si elles d茅cident de participer dans la vie quotidienne de la colonie et des indig猫nes, elles risquent la p茅n茅tration des 芦 porous frontiers 禄 qu鈥檈lles repr茅sentent.
Marguerite, cependant, se r茅volte contre ce r么le impos茅 de femme blanche quand elle choisit de devenir un corps prostitu茅 pour l鈥橝mant chinois. Duras renverse la dynamique coloniale ; elle accorde 脿 Marguerite un positionnement unique qui se d茅finit par rapport 脿 ses identit茅s de femme appauvrie, blanche et colonisatrice. Puisque c鈥檈st une fille blanche, sa relation avec un homme asiatique demeure non permise aux yeux des Blancs. Boud茅e par les gens de son cadre social que son comportement scandalise, elle est connue comme 芦 cette petite vicieuse [qui] va se faire caresser le corps par un sale Chinois millionnaire 禄 jusqu鈥檃u point o霉 aucune femme 芦 ne lui adressera plus la parole 禄 脿 l鈥檈xception de sa meilleure amie, H茅l猫ne Lagonelle (Duras 69). Pour Marguerite, cet ostracisme repr茅sente la punition pour avoir agi contre les r猫gles sociales de la colonie.
La famille de Marguerite a une r茅action violemment n茅gative 脿 sa relation sexuelle avec l鈥橝mant chinois. Leur d茅sapprobation et abus montre les r茅percussions dangereuses pour ceux qui violent ces fronti猫res raciales structurant l鈥檕rdre colonial. Sa m猫re 芦 [la] bat 脿 coup de poing [...]. [Elle la] frappe de toutes ces forces 禄 et son fr猫re a卯n茅 茅coute 脿 l'ext茅rieur, esp茅rant que la punition 芦 dure encore et encore jusqu鈥檃u danger 禄 (45-46). Comme r茅ponse 脿 l鈥檃bus familial, Marguerite 茅change le positionnement marginalis茅 d鈥檜ne fille appauvrie blanche qu鈥檈lle occupe 脿 celui d鈥檜ne fille manifestant ces qualit茅s, mais qui est aussi fille queer. Ainsi profite-t-elle du r茅confort associ茅 脿 ses relations queers bas茅e sur le d茅sir de remplacer le vide affectif caus茅 par sa famille abusive : la premi猫re avec l鈥橝mant chinois et la deuxi猫me avec son amie H茅l猫ne avec qui Marguerite entreprend une relation homosociale.
La relation sexuelle entre Marguerite et l鈥橝mant chinois est strictement 脿 l鈥檈ncontre des r猫gles de la soci茅t茅 fran莽aise 脿 cause de la diff茅rence ethno-raciale entre les deux personnages. 尝鈥橝尘补苍迟 chinois sait qu鈥檈n tant que Chinois, ses avances envers Marguerite seraient punies s茅v猫rement si celle-ci signalait ouvertement les transgressions. Cette conscience, ainsi que cette peur, sont refl茅t茅es dans ses actions. La premi猫re fois qu鈥檌l lui parle, 芦 sa main tremble. Il y a cette diff茅rence de race, il n鈥檈st pas blanc [...] C鈥檈st pourquoi il tremble 禄 (26). Duras 茅crit que 芦 d猫s le premier instant [Marguerite] sait [...] qu鈥檌l est 脿 sa merci 禄 (28). La fronti猫re ethno-raciale vers laquelle les deux personnages s鈥檃pprochent dangereusement est presque palpable dans la relation physique et la dynamique du pouvoir subversif entre les deux o霉 芦 il est 脿 sa merci 禄 (26).
Quoique colonisatrice blanche, Marguerite est aussi adolescente et la partenaire la plus jeune dans la relation amoureuse avec l鈥橝mant. Par son pouvoir sur le corps asiatique tremblant et soumis, Marguerite r茅oriente sa vuln茅rabilit茅 afin de regagner une agenc茅it茅 qu鈥檈lle avait perdue en raison de son positionnement socio-茅conomique marginalis茅 et du rejet de sa famille. En m锚me temps et de fa莽on transactionnelle, la jeune fille sacrifie son innocence dans la relation sexuelle pour survivre dans une soci茅t茅 qui la marginalise doublement, ce qui devient pour elle un traumatisme notable. Pour retrouver une partie de cette innocence, elle se tourne vers son amie H茅l猫ne Lagonelle. Avec H茅l猫ne, la seule fille blanche de l鈥檌nternat qui ne l鈥檕stracise ni pour sa pauvret茅 ni pour sa relation sexuelle avec un Chinois, Marguerite trouve l鈥檃cceptation et l鈥檃miti茅 dont elle ne jouit pas dans son cadre familial et social.
Le r茅veil sexuel de la jeune Marguerite 脿 travers sa relation avec l鈥橝mant chinois d茅clenche un r茅veil simultan茅 de son d茅sir du corps du m锚me genre, 脿 savoir un d茅sir qui prend comme objet le corps d鈥橦茅l猫ne. Duras 茅crit que
[c]e qu鈥檌l y a de plus beau toutes les choses donn茅es par Dieu, c鈥檈st ce corps d鈥橦茅l猫ne Lagonelle [...]. Rien n鈥檈st plus extraordinaire que cette rotondit茅 ext茅rieure des seins port茅s [...]. Je voudrais manger les seins d鈥橦茅l猫ne Lagonelle comme [l鈥橝mant chinois] mange les seins de moi. (56)
Les fantasmes de Marguerite d鈥檈xplorer le corps d'H茅l猫ne de la m锚me mani猫re que l鈥橝mant explore le sien renforcent le lien int茅rieur entre son attirance r茅veill茅e envers H茅l猫ne et ses rencontres sexuelles avec l鈥橝mant. Duras d茅crit l鈥檌gnorance d鈥橦茅l猫ne 脿 propos de la nature sexuelle de son propre corps, ce qui donne 脿 Marguerite un certain pouvoir dans cette relation entre filles. Comme le souligne la narratrice, 芦 Elle est impudique, H茅l猫ne Lagonelle, elle ne se rend pas compte, elle se prom猫ne toute nue dans les dortoirs 禄 (56). Faisant r茅f茅rence 脿 ce regard voyeur de Marguerite sur le corps d鈥橦茅l猫ne, Rachael Criso soutient que Marguerite est 芦 in awe of Helene鈥檚 body and mesmerized by her innocence, often comparing her own sexual knowledge to Helene鈥檚 chasteness 禄 (47). L鈥檌nt茅r锚t que Marguerite porte sur l'incompr茅hension d鈥橦茅l猫ne de sa propre sexualit茅 rend encore plus explicite son d茅sir voyeuriste pour le corps de son amie.
Cette repr茅sentation des tendances voyeuristes entre Marguerite et H茅l猫ne participe au th猫me principal du roman portant sur la scopophilie, d茅finie ici comme le plaisir d鈥櫭猼re vue, particuli猫rement chez les femmes. Laura Mulvey nuance cette notion de la scopophilie en d茅crivant le ph茅nom猫ne comme 鈥�to-be-looked-at-ness鈥� :
There are circumstances in which looking itself is a source of pleasure, just as,
in the reverse formation, there is pleasure in being looked at [...] In their traditional
exhibitionist role women are simultaneously looked at and displayed, with their appearance
coded for strong visual and erotic impact so that they can be said to connote to-be-looked-at-ness. (344-346)[2]
Dans 尝鈥檃尘补苍迟, la scopophilie se manifeste dans la relation entre Marguerite et H茅l猫ne, mais appara卯t toutefois 脿 l鈥檈xt茅rieur de cette relation au sein de la soci茅t茅 indochinoise, l脿 o霉 Marguerite vit comme adolescente blanche : 芦 On regarde les blanches aux colonies, et les petites filles blanches de douze ans aussi. Depuis trois ans les blancs aussi me regardent dans les rues 禄 (Duras 14). Marguerite et les autres femmes blanches en Indochine ne peuvent pas 茅chapper au voyeurisme constant qui d茅finit leur existence. M锚me quand elles sont seules, loin du regard masculin, 芦 elles attendent [...] elles se regardent. Dans l鈥檕mbre de ces villas, elles se regardent pour plus tard 禄 (15). Ainsi Marguerite devient-elle 脿 la fois objet et agent de voyeurisme, ce qu鈥檈lle apprend par le biais de l鈥檈xemple des autres blanches dans la soci茅t茅 coloniale. Comme les blancs la convoitent depuis l鈥櫭e de douze ans, Marguerite se regarde in茅luctablement, et regarde les autres, en particulier H茅l猫ne, d鈥檜n regard sexualisant.
Duras r茅v猫le qu鈥橦茅l猫ne Lagonelle a r茅ussi 脿 s鈥櫭ヽhapper de cet 茅tat perp茅tuel d鈥檕bjectification et de scopophilie gr芒ce 脿 芦 la loi de l鈥檈rreur. Attard茅e dans l鈥檈nfance 禄 (16). Grace 脿 cet 茅chappement, H茅l猫ne retient son innocence jeune, auquel Marguerite peut acc茅der de nouveau pour se prot茅ger de la connaissance de sa propre 芦 to-be-looked-at-ness 禄 脿 travers la relation homosociale. Cette 茅chappatoire est pourtant temporaire. Notons que Marguerite retourne aux habitudes scopophiliques lorsqu鈥檈lle regarde le corps nu d鈥橦茅l猫ne, toujours inconsciente de sa sexualit茅. Dans son regard concupiscent pos茅 sur les seins d鈥橦茅l猫ne, Marguerite prend plus de plaisir tout en sachant que l鈥檃utre fille ne reconna卯t pas le fait qu鈥檈lle est 茅tudi茅e :
Ces formes de fleur de farine, elle les porte sans savoir aucun, elle montre ces choses pour les mains les p茅trir, pour la bouche les manger [...] sans connaissance d鈥檈lles, sans connaissance non plus de leur fabuleux pouvoir. (Duras 57)
De cette fa莽on, Marguerite profite d鈥檜n certain pouvoir 脿 travers son d茅sir unilat茅ral puisqu鈥橦茅l猫ne est ignorant de ce d茅sir. Marguerite a alors le pouvoir de d茅cider comment leur relation proc茅dera.
Pourtant, Marguerite ne choisit pas d鈥檃gir en accord avec son d茅sir : sa relation avec H茅l猫ne reste strictement dans l鈥檕rdre de l鈥檋omosocialit茅. En effet, cette homosocialit茅 devient un asile qui permet 脿 Marguerite d鈥櫭ヽhapper 脿 ses milieux familiaux et sociaux malfaisants et instables. Parmi les trois relations les plus importants dans sa vie鈥攃elles avec sa famille, avec l鈥橝mant, et avec H茅l猫ne鈥擬arguerite se trouve pouss茅e par l鈥檃bus de sa famille vers ses relations amoureuses et d茅sireuses. En m锚me temps, le trauma de sa nouvelle sexualit茅 avec l鈥橝mant la pousse vers son lien r茅confortant et homosocial avec H茅l猫ne. Duras met ainsi en contigu茂t茅 d鈥檜ne part un lien queer et homosocial et d鈥檃utre part une relation illicite franco-asiatique. Ce lien permet 脿 Marguerite de cr茅er un passage vers la stabilit茅 et vers la survie o霉 elle se n茅gocie entre deux modes sexuels anti-normatifs tout en maintenant une distance protectrice vis-脿-vis de sa famille toxique.
Dans 尝鈥橝尘补苍迟, c鈥檈st justement la capacit茅 et la volont茅 de Marguerite Donnadieu de traverser les fronti猫res construites et perm茅ables de la soci茅t茅 coloniale fran莽aise en Indochine qui lui permettent de regagner son agenc茅it茅 menac茅e par ses milieux sociaux, financiers et familiaux. Sa sexualit茅 queer est ainsi comprise dans le contexte de sa relation h茅t茅rosexuelle, illicite et interraciale avec l鈥橝mant et celui de son lien homosocial avec son amie H茅l猫ne Lagonelle. Dans le cadre de ce texte visuel, la th茅orie de la scopophilie de Mulvey r茅v猫le comme 芦 queer 禄 les rendez-vous amoureux entre Marguerite et l鈥橝mant et aussi la relation homosociale avec Lagonelle. C鈥檈st dans cet acte de rendre 芦 queer 禄 que le lecteur, qui devient en quelque sorte spectateur de ces actes, traverse ces fronti猫res comme participant voyeur et 芦 queer-ifi茅 禄 en c么toyant Marguerite. La sexualit茅 queer ne s鈥檕p猫re pas uniquement dans la di茅g猫se de l鈥檋istoire, mais aussi, comme nous le sugg茅rons, 脿 l鈥檈xt茅rieur. Pour Marguerite, la sexualit茅 devient repr茅sentative de la r茅silience par laquelle son agenc茅it茅 et son innocence a priori perdues sont retrouv茅es. La fin du roman montre une Marguerite plus 芒g茅e se rem茅morant les souvenirs de ses relations familiales, sociales et sexuelles. Ceux-ci d茅passent r茅trospectivement les limites spatio-temporelles et la touchent profond茅ment, lui rappelant comment sa nature queer a jalonn茅 son agence, son courage et sa survie.
[1] Concernant le terme 芦 homosociale 禄, nous faisons r茅f茅rence 脿 la d茅finition d鈥橢ve Kosofsky Sedgwick qui affirme que 芦 homosocial 禄 ne repr茅sente pas uniquement un lien social entre deux individus du m锚me sexe, mais aussi une relation qui existe dans un 芦 continuum 禄 entre des liens sociaux platoniques et des liens 茅rotiques (Sedgwick 1).
[2] La th茅orie de Mulvey de la scopophilie et de to-be-looked-at-ness s'ancre a fortiori dans le regard masculin cin茅matique. Cependant, nous l鈥檃ppliquons ici pour soutenir une analyse intersectionnelle du traitement visuel-litt茅raire de Duras. Cette analyse est possible gr芒ce 脿 la nature photographique et visuelle du style d鈥櫭ヽriture de Duras ainsi qu'脿 la pr茅sentation du texte. Le roman s鈥檌nspire de deux photographies de sa vie en Indochine, l鈥檜ne v茅ritable et l鈥檃utre imaginaire (Cohen 58-61). Pour une analyse de la structure photographique de Duras dans 尝鈥橝尘补苍迟, voir 鈥淔iction and the Photographic Image in Duras鈥� The Lover鈥� de Susan D. Cohen.
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